
Bernard Frize, Sans remords au Centre Pompidou
Bernard Frize est de retour à Paris cet été pour ses premières grandes expositions depuis 15 ans. Bernard Frize - Sans remords est visible jusqu'au 26 août au Centre Pompidou, et Bernard Frize - Maintenant ou jamais est présenté simultanément jusqu'au 14 août à la galerie Perrotin. L'exposition Perrotin est plus petite et comprend des œuvres plus récentes réalisées au cours des dernières années. L'exposition Pompidou, quant à elle, examine l'ensemble de sa carrière jusqu'à présent, soit plus de 40 ans de peintures. Frise fait sans doute partie des artistes abstraits français les plus discutés aujourd’hui, mais les conversations que nous avons à propos de son travail ont tendance à soulever toujours plus de questions qu’elles n’en répondent. C'est une bonne chose. Les questions sont essentielles à ce que fait Frize. Il demande : « Comment vais-je peindre le prochain tableau ? » Ensuite, quand nous voyons ce qu’il a fait, nous nous demandons : « Comment a-t-il peint ce tableau ? Des questions se posent sans cesse : comment vais-je le faire et comment l'a-t-il fait ? Le mystère de ses processus ne finit jamais. Et oui, comme on le souligne souvent, le processus constitue une part majeure de son travail. Frise limite ses choix en établissant certaines règles et structures pour chaque nouvelle série dans laquelle il se lance. Ces limitations qu’il s’impose lui permettent d’expérimenter. Mais Frize n’est pas ce que nous appellerions un Process Artist. Pour un véritable Process Artist, le produit final – l’objet d’art – n’est pas l’objectif principal. Au lieu de cela, seul le processus de création – l’acte créatif – compte. Pour Frize, cependant, je dirais que le produit final est absolument essentiel. C'est la preuve de ses méthodes ; la preuve de ses questions et la réponse à ses questions ; c'est la validation d'un échec et le panneau indiquant la possibilité suivante.
Un chercheur en série
Bernard Frize—Sans Remords présente plus de 70 œuvres, la plus ancienne datant de 1976. L'exposition est conçue pour offrir un nouveau regard sur une œuvre dominée par des séries méthodiques en introduisant le hasard et la fantaisie dans le processus curatorial. L'espace d'exposition a été divisé en six segments. Vu d'en haut, les murs forment une grille, qui est la structure compositionnelle fondamentale avec laquelle Frize a tendance à travailler. Les noms donnés aux segments de la galerie sont Avec Irrationalité, Sans Effort, Avec Système, Sans Système, Avec Maîtrise, Sans Arrêt. Les visiteurs peuvent déambuler à travers les segments à leur guise. Dans chaque nouvelle zone, ils trouveront des écrits de Frize sur l'œuvre. Plutôt que d'accrocher les peintures de manière thématique ou par date selon la série dans laquelle elles ont été créées, comme c'est le plus souvent fait avec ce travail, les œuvres de chacune des différentes séries ont été dispersées à travers les différentes galeries. Cette curation aléatoire permet aux visiteurs de rencontrer des exemples des différentes séries dans des contextes variés, permettant ainsi peut-être l'émergence de nouvelles conclusions. La curatrice de l'exposition, Angele Lampe, écrit dans le catalogue : "Ces contraintes nous ont donné la liberté de réorganiser [the] travail sans trop de gravité."
Bernard Frize- Frappant, 2005. 100 x 100 cm. Mousse, polyester, forex, etc. Collection privée. © Bernard Frize/Adagp, Paris 2019. Vue de l'exposition. Photo par : IdeelArt.
Le sérieux est souvent le glas de l’art abstrait. Combien de fois sommes-nous aliénés ou confus par une œuvre, ou sommes-nous dit par un artiste ou un critique que notre interprétation est fausse ? À l’inverse, combien de fois une œuvre abstraite ou l’artiste qui l’a réalisée est-elle complètement rejetée en raison d’un manque de sérieux perçu ? Frise a suivi cette ligne tout au long de sa carrière. D’une part, il adopte une approche détendue, insistant sur le fait que ses peintures ne parlent de rien en particulier. Il laisse leur interprétation entièrement au spectateur. Même leurs titres sont aléatoires (indépendamment des associations qu'un spectateur pourrait avoir avec le contenu qui pourrait être présent dans l'œuvre). En revanche, il sait que la relation entre le tableau et le spectateur est très sérieuse. C’est dans cette relation que se manifeste la valeur naturelle de l’art. Ainsi, sans être trop sérieux, Frize s'efforce sérieusement de réaliser des images qui méritent notre considération. Il recherche la nouveauté dans chaque tableau afin que nous soyons récompensés par la surprise lorsque nous le regardons.
Bernard Frize- Oma, 2007. Acrylique sur toile. 240,5 x 310 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Bernard Frize/Adagp, Paris 2019. Vue de l'exposition. Photo par : IdeelArt.
Systèmes de hasard
Un point clé que Frize souligne souvent à propos de sa méthode est que le hasard est important. Même s'il initie chaque nouvelle série en établissant un ensemble de règles pour celle-ci, il le fait uniquement comme un moyen de commencer. La structure lui donne un espace dans lequel il peut intuer, et il embrasse les accidents qui surviennent pendant qu'il travaille. Il a parlé, par exemple, de laisser une peinture couler sur la suivante afin que les gouttes aléatoires puissent lui offrir un nouveau point de départ, ou de laisser les échecs d'une composition inspirer le début de la suivante. La chose la plus gratifiante à propos de la curation de Bernard Frize—Without Remorse est la façon dont elle maximise également le hasard. Si nous devions regarder ces œuvres dans l'ordre dans lequel elles ont été réalisées, nous nous préoccuperions entièrement d'admirer l'évolution de chaque série. En les dispersant de manière aléatoire, la curation nous libère de cette contrainte.
Bernard Frize- Sans Remords au Centre Pompidou, vue de l'exposition. © Bernard Frize/Adagp, Paris 2019. Photo par : IdeelArt.
Mais paradoxalement, lorsque nous rencontrons une œuvre issue d’une série que nous avons également rencontrée une fois auparavant, nous nous souvenons que Frize travaille en série. Cette révélation revient fréquemment dans Without Remorse, ce qui donne l’impression qu’après tout, il s’agit bien d’une exposition sur la structure. Pourtant, en cours de route, il ne constitue jamais une structure comme un monument inattaquable. Bien au contraire. Il nous montre que les structures ont une durée de vie et que leur valeur dépend des actes créatifs qu’elles engendrent. Frise a peut-être raison de penser qu’il est impossible d’insuffler une signification et une intention absolues dans une peinture abstraite. Mais il y a quelque chose de toujours humain dans ses gestes absurdes, sa méthodologie aléatoire et ses processus auto-réalisateurs. Cet élément humain mérite d’être recherché dans ces toiles. C’est peut-être la raison pour laquelle, même lorsque l’œuvre échoue ou semble dénuée de sens, l’artiste ne devrait avoir aucun remords.
Image à la une : Bernard Frize - Perma, 2006. Acrylique et résine sur toile. 132 x 174 cm. Avec la courtoisie de la Galerie Perrotin & Bernard Frize. © Bernard Frize/Adagp, Paris 2019. Vue de l'exposition. Photo par : IdeelArt.
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Par Phillip Barcio