
Le processus d'entrelacement de Bernard Frize
Le Centre Georges Pompidou à Paris ouvrira une rétrospective de l'œuvre de Bernard Frize en 2019. En prévision de cette exposition, la galerie Simon Lee à Mayfair, Londres, a récemment ouvert une petite exposition examinant un aspect particulier de l'œuvre de cet artiste abstrait prolifique : son exploration de la grille comme structure pour les peintures. Intitulée Bernard Frize : Blackout dans la Grille, cette exposition réunit une série actuelle de Frize avec une série de peintures basées sur la grille que l'artiste a réalisée entre 1999 et 2008. Les deux séries sont visuellement assez différentes, mais leur juxtaposition démontre de manière appropriée comment Frize aborde son processus. Pour ceux qui ne connaissent pas Frize, il est un peu comme une manifestation vivante de l'idée qu'Anni Albers a exprimée lorsqu'elle a dit : "L'œuvre d'art traite du problème d'une œuvre d'art, mais plus encore, elle enseigne le processus de toute création, le façonnement de l'informe." Au cours des quatre décennies, Frize ne s'est jamais concentré sur les problèmes d'une peinture particulière. Au lieu de cela, il est resté dédié à démontrer son propre concept de ce à quoi ressemble le processus de création. Sa croyance principale est que l'artiste doit prendre le moins de décisions possible. Il voit le rôle du créateur comme simplement développer des systèmes sous lesquels l'art peut essentiellement se faire lui-même. Sa méthode commence par lui conceptualiser une structure pour une série de peintures—par exemple, une grille. Il attribue ensuite quelques règles supplémentaires à la structure, disons par exemple qu'il va utiliser un pinceau fin ou un pinceau épais pour appliquer la peinture, ou que les lignes qu'il va peindre vont être verticales ou horizontales. Ensuite, il permet simplement à chaque variation concevable au sein de cette structure de s'épuiser, à quel point la série est complète et il passe à une autre série, basée sur une nouvelle structure. Quant à la signification de ses œuvres, Frize croit que cela dépend entièrement du spectateur, dont le travail est de compléter l'œuvre. Frize n'est pas un poète. Il voit les artistes comme rien de plus que des techniciens : des travailleurs dont le travail est d'utiliser des outils, des processus et de la peinture, non pas de traiter le problème d'une œuvre d'art particulière, mais de démontrer au monde la nature utilitaire de toute création.
Expansion et effondrement
Dans une récente interview, Frize a déclaré que tout ce qu’il avait fait se résumait essentiellement à des processus d’expansion et d’effondrement. Il étend une formule simple jusqu'à ce qu'elle atteigne sa limite, sans jamais savoir à l'avance quelle sera cette limite. Parfois, en travaillant sur une série, une formule engendre une autre formule, comme l'évolution d'une nouvelle espèce. D’autres fois, la formule s’effondre simplement sur elle-même sans rien inspirer de plus – la fin d’une ligne créative. Sa carrière pourrait ainsi être considérée comme une célébration de la façon dont ce processus d’expansion et d’effondrement se poursuit indéfiniment, alors même que chaque structure ou système individuel atteint inévitablement ses limites physiques et théoriques. Il s’agit d’une approche très philosophique de l’art, et qui semble même de nature quelque peu politique. La plupart des artistes adoptent une vision autoritaire selon laquelle ils sont seuls responsables de chaque choix créatif. Frize, quant à lui, exprime une vision du processus créatif plus idéologique, dans laquelle chaque nouvelle série qu'il crée adhère à des lois inaltérables, même par l'artiste.
Bernard Frize : Blackout dans la grille, 2018, vue d'installation, Simon Lee Gallery, Londres. Photo avec l'aimable autorisation de Simon Lee Gallery.
C'est presque comme si Frize considérait chacune de ses séries comme une sorte de culture individuelle, semblable aux cultures humaines, qui développent chacune leur propre personnalité idiosyncratique basée sur quelques facteurs distinctifs simples et fondamentaux. C’est ainsi qu’on reconnaît la subtile différence entre la culture française, la culture allemande, la culture espagnole, etc. Chacune a une certaine structure mise en place il y a longtemps, qui détermine ce qui la rend unique par rapport à toutes les autres cultures. Ainsi, chaque série créée par Fritz se développe également dans le même sens. Tout comme les cultures humaines se dissolvent lorsque leurs structures uniques sont sujettes à des changements en fonction des caprices de chaque nouvelle génération, Frize se rend compte qu'il doit éliminer complètement la détermination de son processus afin que chaque culture qu'il développe puisse embrasser pleinement les particularités qui font la différence. c'est unique, sans interférence de l'ego du fondateur.
Bernard Frize : Blackout dans la grille, 2018, vue d'installation, Simon Lee Gallery, Londres. Photo avec l'aimable autorisation de Simon Lee Gallery.
Sur la grille
Considérées à travers le prisme de la politique et de la philosophie, les œuvres exposées dans Blackout the Grid offrent de nombreuses perspectives fascinantes aux spectateurs. Malgré leurs similitudes, chacune de ces peintures possède des différences claires et distinctes qui la rendent unique. Et pourtant, malgré ces différences, chaque tableau partage un fondement clair et distinct. Aucune hiérarchie de valeurs n'a été exprimée par le créateur, ce qui signifie qu'aucune variation individuelle de la structure sous-jacente n'est plus vraie, ni plus pure, ni plus parfaite que toute autre variation. La seule chose intrinsèquement belle dans chacune des œuvres de cette exposition est la structure sur laquelle toutes les œuvres sont basées.
Bernard Frize : Blackout dans la grille, 2018, vue d'installation, Simon Lee Gallery, Londres. Photo avec l'aimable autorisation de Simon Lee Gallery.
Puisque Frize a laissé entièrement au spectateur le soin de trouver un sens à ce qu'il crée, on pourrait se permettre de noter que, comme dans ses œuvres, il existe, au sein de chaque culture humaine, une structure sous-jacente qui la rend semblable, pourtant, à distincte de toute autre culture humaine. Avec son art, Frize a développé une base philosophique sur laquelle affirmer que chaque expression de la structure sous-jacente de la culture humaine doit être valorisée de la même manière. Aucun n’est « meilleur » ou « pire » ou plus beau ou moins beau qu’un autre. Ce qui compte, ce sont les réseaux qui nous connectent. Leurs structures sous-jacentes sont le lieu où existent nos valeurs communes. C’est là que réside le potentiel de la beauté – une leçon profonde, même si Frize n’essayait en aucun cas d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit.
Image à la une : Bernard Frize : Blackout in the Grid, 2018, vue d'installation, Simon Lee Gallery, Londres. Photo courtoisie de Simon Lee Gallery.
Par Phillip Barcio