
Le retour triomphal de Hans Hartung à Paris, avec l'aimable autorisation de MAM
Le 11 octobre 2019, le Musée d'Art Moderne de Paris (MAM) rouvrira ses portes, après un an de rénovation, avec Hans Hartung : La fabrique du geste, une grande rétrospective retraçant toute la carrière de l'artiste franco-allemand Hans Hartung (1904 – 1989). Présentant environ 300 œuvres, ce sera la première grande rétrospective Hartung à visiter la France depuis 1969. Hartung est un choix fascinant pour inaugurer le nouveau MAM. Son stock a augmenté lentement mais régulièrement ces dernières années, en partie grâce à une série d'enquêtes récentes de petites galeries, telles que Hans HARTUNG : Une tempête constante - Œuvres de 1922 à 1989, monté en 2018 par PERROTIN New York. L’une des raisons particulièrement convaincantes du regain d’intérêt pour Hartung pourrait être une prise de conscience croissante non seulement de l’influence qu’il exerçait sur ses propres contemporains, mais aussi de l’influence que son travail a eue sur tant d’artistes abstraits qui façonnent actuellement le débat esthétique mondial. . Ses techniques sont évidentes dans le travail de peintres influents tels que Sterling Ruby et Christopher Wool, tandis que ses méthodes et stratégies de composition sont visibles dans tout, des œuvres conceptuelles de Michael Joo aux sculptures lumineuses d'Ann Veronica Janssens, en passant par les peintures de Wade. Guyton, aux images spatiales tridimensionnelles de Jessica Stockholder. Qu’est-ce qui a permis à Hartung de laisser derrière lui un héritage esthétique aussi diversifié ? Peut-être plus que toute autre chose, c'est l'esprit d'expérimentation, quelque chose de fondamental dans son œuvre, qui continue de guider l'abstraction aujourd'hui. C'est une déclaration pleine d'espoir que MAM a choisi de célébrer sa propre réinvention en montant Hans Hartung : La fabrique du geste. Si l'exposition réussit sa mission, le public contemporain pourrait enfin commencer à reconnaître la contribution de ce maître relativement moins connu du 20e siècle.
L'essence du geste
Hartung est né à Leipzig, en Allemagne, en 1904. Après avoir étudié l'histoire de l'art à l'Université de Leipzig, il s'est inscrit à l'Académie des Beaux-Arts de Dresde, où il a appris à copier les œuvres des Anciens Maîtres. Après une visite à Paris, Hartung s'est intéressé davantage aux qualités abstraites telles que la couleur, la forme et le geste, et a également porté un intérêt particulier au pouvoir du Nombre d'Or. De telles curiosités formelles l'ont placé à l'avant-garde de sa génération, mais elles lui ont également valu d'être qualifié d'« Artiste Dégénéré » par les nazis—une condition qui a conduit Hartung à quitter l'Allemagne pour de bon en 1935. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Hartung a combattu contre sa patrie d'origine avec la Légion Étrangère française. Il a perdu une jambe au combat, et après la guerre, sa blessure a eu un impact profond sur sa pratique picturale—mais pas de la manière dont on pourrait s'y attendre. Bien que cela ait limité sa mobilité, cela n'a fait que pousser Hartung à expérimenter de nouvelles méthodes et de nouveaux médiums. Bientôt, la physicalité est devenue l'aspect le plus important de son travail—comme le suggère le titre de sa prochaine rétrospective, qui se traduit par le tissu du geste.
Hans Hartung - Sans titre, 1935. Aquarelle sur papier. 47 x 61.3 cm. Fondation Hartung-Bergman, Antibes. © ADAGP, Paris, 2019. Photo: Fondation Hartung-Bergman
Pour faire simple, un geste est un mouvement communicatif : un amalgame d'émotion et d'intention exprimé par une action physique immédiate. Les gestes sont essentiels à la conversation humaine, bien que le sens d'un geste soit en constante évolution, changeant selon les coutumes locales et les époques. Visuellement, Hartung a réalisé que les marques gestuelles portent la même large gamme de significations possibles, permettant aux spectateurs de les interpréter de nombreuses manières différentes. Chaque geste qu'il faisait—que ce soit avec un pinceau, un bâton de graphite, un pistolet à peinture ou tout autre outil—se traduisait à la fois comme quelque chose de physique et immédiat—un signe d'énergie—et comme un enregistrement visuel de son combat intérieur entre le chaos et le contrôle. Dans le documentaire de 1947 Visite à Hans Hartung, réalisé par Alain Resnais, nous pouvons même voir ce combat se dérouler pendant que Hartung travaille sur une peinture dans son studio. Chaque mouvement planifié de son corps rencontre une résistance de ses outils, de la surface, de l'espace, du médium et de ses propres limitations physiques. La planification cède la place aux accidents, qui le conduisent à des révisions instantanées, de nouveaux plans et encore plus d'accidents. Peu à peu, un geste en entraîne un autre, puis un autre, jusqu'à ce que le physique devienne visuel, et finalement peut-être même métaphysique.
Hans Hartung- T1949-9, 1949. Huile sur toile. 89x162cm. Collection d'art de Rhénanie du Nord-Westphalie, Düsseldorf. © ADAGP, Paris, 2019. Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN Grand Palais / Walter Klein
Beauté et équilibre
Au cours des quatre décennies qui ont suivi la guerre, Hartung a continuellement réinventé ce que pourrait être son travail. Il explore d’autres médiums : principalement la photographie, mais aussi la gravure et la céramique. Il prenait également plaisir à concevoir les espaces physiques où il vivait et travaillait. Sa dernière maison et son atelier, qu'il partageait avec sa femme, l'artiste abstraite exceptionnelle Anna Eva Bergman, étaient situés dans un complexe moderniste austère et blanc que le couple a construit sur une ancienne oliveraie à Antibes, dans le sud de la France. Actuellement, ce bâtiment abrite la Fondation Hartung-Bergman, un contributeur important au prochain salon MAM. Une visite devrait figurer sur la liste de tout véritable fan de Hartung ou de Bergman, car son caractère esthétique est une déclaration remarquable des principes qui ont guidé ces deux artistes.
Hans Hartung - T1989- K35, 1989. Acrylique sur toile. 100 x 162 cm. © Musée d’Art moderne de Paris / Roger-Viollet. © ADAGP, Paris, 2019. Photo: Julien Vidal / Parisienne de Photographie
Selon le guide de la fondation, le couple n'a accroché aucune peinture dans ses quartiers de vie à l'étage supérieur—ni ses propres peintures ni celles qu'ils avaient collectées d'autres artistes, malgré le fait de posséder des œuvres de nombreux artistes les plus prestigieux du 20e siècle, qui étaient leurs amis personnels. Les espaces de vie étaient uniquement destinés à vivre, et les espaces de travail étaient uniquement destinés à travailler. Chaque aspect de l'architecture est parfaitement planifié et exécuté, tandis que tout autour du complexe, la nature s'exprime librement dans toute sa variation imprévisible. La précision géométrique de Bergman se reflète dans la forme de la terrasse de la piscine, tandis que le lyrisme gestuel de Hartung est chanté par les ondulations de l'eau. L'espace est un mariage de contenu et de forme, de contrôle et de hasard—une déclaration constructive remarquable des idéaux artistiques qui ont guidé Hartung dans son travail, et qui continuent à le rendre pertinent aujourd'hui. Hans Hartung : La fabrique du geste sera exposé au MAM du 11 octobre 2019 au 1er mars 2020.
Featured image: Hans Hartung - T1966-K40, 1966. Peinture vinylique sur toile. 38 x 61 cm. Fondation Hartung Bergman, Antibes. © ADAGP, Paris, 2019. Photo: Fondation Hartung-Bergman
Par Phillip Barcio