
The Fervent Abstraction of Olivier Debré
L'une des expositions les plus intrigantes à venir à Londres cet été est Olivier Debré : Fervent Abstraction, qui ouvre ses portes à fin juin à The Estorick Collection. Mon intérêt pour l'exposition est en partie dû à l'artiste et en partie à l'endroit où elle se tient : la boutique-musée est réputée pour sa collection d'art italien moderne du début du XXe siècle, en particulier futuriste. Olivier Debré (1920-1999) n'était pas italien, mais français. Il était également très différent des futuristes sur le plan philosophique, notamment en ce qui concerne leurs idées selon lesquelles la guerre était une force positive et nettoyante dans la société. Plusieurs signataires du Manifeste futuriste ont combattu avec enthousiasme aux côtés des fascistes pendant la Première Guerre mondiale. Debré, quant à lui, a été élevé au lendemain de cette guerre et a lui-même rejoint la résistance française luttant contre les fascistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Il existe néanmoins des croisements fascinants entre Debré et les premiers modernistes italiens en ce qui concerne leur intérêt pour l’expression de la métaphysique dans l’art. Les futuristes ont fait des découvertes pionnières en tentant de peindre des sensations telles que la vitesse et l’expérience de la synesthésie. Debré a fait des découvertes tout aussi profondes dans sa quête visant à utiliser la peinture comme moyen d'exprimer des émotions sans recourir à la description. Debré s'est intéressé au profond sentiment de communion qui se produit lorsque nous sentons que quelqu'un d'autre partage exactement nos émotions. Il s’est également rendu compte de l’insuffisance des mots lorsqu’il s’agit d’essayer d’expliquer à quelqu’un d’autre ce que l’on ressent. Ses peintures peuvent être comprises à la fois comme des tentatives d'exprimer un état émotionnel et comme des tentatives de créer des espaces où des liens émotionnels pourraient être établis et favorisés. Rejetant les prétentions du grand art au profit de gestes plus humanistes, il peint au sol plutôt que sur un chevalet. Il a également ajouté des matériaux modestes comme le sable à sa peinture et utilisé des outils du quotidien comme des balais pour appliquer ses médiums. L’ensemble diversifié de ses œuvres est devenu synonyme du terme d’abstraction lyrique. C'est la manifestation matérielle de la sensualité et de la subjectivité, l'équivalent pictural de la poésie et de la musique.
Signes et symboles
L'une des histoires les plus souvent racontées à propos de Debré est que Pablo Picasso est venu à sa première grande exposition personnelle à Paris. Après avoir vu l’œuvre, Picasso a déclaré à Debré, alors âgé d’une trentaine d’années : « Tu peins déjà comme un vieil homme. » Ce commentaire énigmatique est évidemment ce qui a mis Debré sur la voie du développement de sa voix abstraite emblématique. Plutôt que de copier les styles populaires de l'époque, il a entamé un processus exhaustif visant à découvrir exactement comment un artiste peut transmettre des pensées et des sentiments à travers l'art abstrait. Il a commencé par analyser la manière dont les gens se transmettent le plus souvent leurs sentiments : à travers les mots. Le langage écrit, réalisa-t-il, est l'incarnation même de la communication symbolique, dans la mesure où les idées sont traduites sous forme de lignes sur des surfaces créées au moyen de gestes humains physiques. Cette révélation l'a mis sur la voie de la création de sa propre symbologie gestuelle et linéaire, qu'il pourrait utiliser pour transmettre ses sentiments et faciliter les liens émotionnels entre les spectateurs.
Olivier Debré - Monochrome rose rouge, trace rouge rose, 1984. Oil on canvas, 180 x 180 cm. Collection Galerie, Louis Carré & Cie, Paris
Jusque-là, les émotions les plus courantes ressenties par Debré étaient la solitude et le chagrin. En fait, son premier contact avec l'art s'est produit alors qu'il n'avait que neuf ans et que sa mère est décédée. Son père et son oncle l'ont encouragé à dessiner et à peindre pour faire face à cette perte. Les horreurs indescriptibles dont il fut témoin plus tard alors qu’il luttait contre les nazis lui rappelèrent à plusieurs reprises l’isolement et la souffrance qui définissent si souvent la condition humaine. Son effort révolutionnaire pour exprimer ces sentiments terribles a eu lieu au début des années 1950, avec une série de peintures abstraites qu'il a appeléesSignes-Personnages (Signes de caractère). Constituées principalement de formes noires verticales et linéaires sur fond blanc, les œuvres ressemblent à un hybride de figures humaines et de lettrages. Ce n’étaient pas des humains solitaires que Debré essayait de montrer dans ces œuvres : ce sont des images de l’essence même de la solitude.
Olivier Debré - Sans titre, c. 1990. Oil on canvas, 100 x 100 cm. Private collection
La réalité nous peint
En plus de la longue série Signes-Personnages, Debré a consacré de nombreuses décennies à sa série de peintures de paysages abstraits, qu'il a appelée Signes-Paysages. Définies par de larges bandes de couleur vibrante, ces peintures partagent un héritage visuel avec le travail des artistes du Color Field comme Helen Frankenthaler et Mark Rothko. Debré a réalisé ces peintures pour exprimer les sensations qu'il ressentait en interagissant avec l'environnement naturel. Cependant, il ne parlait pas de cet ensemble d'œuvres en termes de création de peintures du monde naturel, car il ne percevait pas la réalité comme quelque chose que les humains créent. Au lieu de cela, il percevait l'expérience humaine comme quelque chose qui est constamment formé et reformé par une réalité naturelle qui dépasse notre compréhension. "Il y a une sorte de chevauchement entre l'atmosphère mentale et l'atmosphère réelle," a-t-il dit. "Nous sommes toujours à la fois en nous-mêmes et en dehors de nous-mêmes. Je peins dans l'émotion d'une réalité qui me génère."
Olivier Debré - Sans titre, c. 1958. Oil on canvas, 27 x 35 cm. Private collection
En plus de l'énorme corpus de peintures créé par Debré, il s'est également fait un nom dans le monde des œuvres publiques monumentales, créant de nombreuses sculptures publiques ainsi qu'une collection de rideaux de théâtre bien-aimés, notamment des rideaux pour les opéras de Londres et de Hong Kong. . Chaque fois qu'il réfléchissait à son œuvre vaste et diversifiée, il appelait l'essence de ce qu'il recherchait le signe du réel. L'abstraction fervente est le nom qu'il a trouvé pour exprimer la passion et l'immédiateté d'un geste, d'un symbole et d'un sentiment naissant simultanément.
Comme Picasso aux débuts du cubisme, Debré cherchait à découvrir un réalisme plus profond au-delà du monde du mimétisme artistique ; un réalisme qui capture le mystère et la beauté des parties visibles et invisibles de la vie.
Olivier Debré : Fervent Abstraction sera visible du 30 juin au 12 septembre 2021 à la Estorick Collection of Modern Italian Art à Londres.
Image en vedette : Olivier Debré - Sans titre, c. 1946. Encre de Chine sur papier. 20,2 x 30,9 cm. Collection privée
Toutes les images utilisées à des fins d'illustration uniquement
Par Phillip Barcio