
Comment un dessin numérique abstrait de Claire Malrieux réagit à la météo
Claire Malrieux a le don de concevoir des œuvres d'art qui éclairent le concept d'abstraction de manière fascinante. Son œuvre la plus récente, Climat Général, a été créée à la Biennale de Venise 2017 dans l'Hyperpavillon, un espace dédié à l'art post-numérique. L'œuvre était simultanément exposée dans la sacristie gothique du Collège des Bernardins à Paris. Il s’agit d’un dessin numérique animé projeté sur un écran. L'image évolue en temps réel selon la direction d'un programme informatique. Cela signifie que chaque fois que vous regarderez le dessin, ce sera différent. Et comme il n’y a pas de point final esthétique prédéterminé vers lequel l’œuvre se dirige, chaque instant est aussi démonstratif du concept que tout autre instant. Malrieux qualifie l'œuvre de tableau de l'Anthropocène (une époque de l'histoire de la Terre définie par le moment où l'impact de l'homme sur l'écosystème est devenu mesurable). Pour créer Climat General, elle a commencé par dessiner numériquement une série de formes et de motifs linéaires qui, selon elle, étaient représentatifs de Gaia, la personnification mythologique grecque de la Terre. Elle a ensuite associé chacun de ces éléments dessinés à des points de données corrélés aux données météorologiques mondiales. Le programme informatique surveille les données météorologiques entrantes et déclenche une sortie visuelle, qui se traduit par un dessin animé à évolution lente qui se déroule sur l'écran. Les téléspectateurs peuvent s'asseoir et regarder aussi longtemps qu'ils le souhaitent. Une bande-son minimaliste et bourdonnante et de faibles lumières ambiantes créent un environnement propice aux longs visionnages. La question devient alors : que voient les téléspectateurs ? Est-ce un art ou une science ? Est-ce beau ou horrible ? Et est-ce concret ou abstrait ?
Art génératif
Diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Malrieux travaille depuis plusieurs années dans le domaine de l'art conceptuel génératif par ordinateur. En 2014, elle a initié un projet intitulé Atlas du temps présent, qui est toujours en cours. Comme Climat Général, Atlas du Temps Présent utilise un programme informatique pour créer des dessins à partir des données entrantes. Dans ce cas, ses collaborateurs sont des scientifiques du monde entier. Selon Malrieux, « [The project] se construit à travers la génération quotidienne d'une toile montrant une collection de notes écrites, de diagrammes et de croquis collectés de la communauté scientifique. » L'œuvre est en partie une collection de dessins réalisés par d'autres personnes, en partie une documentation cinétique de pensées universitaires spontanées et en partie un fil d'actualité esthétique montrant les progrès actuels de la science, quelle que soit leur interconnectivité ou leur signification. .
Claire Malrieux - Atlas du Temps Preset, Composition 6 12 2017, © Claire Malrieux
En 2015, Malrieux a développé son idée avec une série de cinq dessins intitulée The Vibratory Economy. Pour cette série, elle a connecté divers éléments graphiques associés au trading d'actions à haute fréquence avec les théories mathématiques du scientifique russe marginal Grigory Grabovoy. Grabovoy est l'auteur d'un livre intitulé The Practice of Control, The Way to Salvation, qui prétend que les gens peuvent vivre éternellement et même revenir d'entre les morts. Il est actuellement emprisonné en Russie pour fraude après avoir reçu des paiements de familles en échange de promesses mensongères de pouvoir ressusciter leurs enfants assassinés. Ses équations scientifiques se rapportent à une marque idiosyncratique de géométrie quasi-spirituelle. En les combinant avec des données du marché boursier, Malrieux a créé des images de moments de la culture humaine qui combinent des extrêmes de pensée et de théorie, commentant largement sur la connexion humaine entre l'argent et la croyance.
Claire Malrieux - Dessin Génératif, 2015, © Claire Malrieux
Le climat général
Avec la réalisation de Climat Général, Malrieux porte son concept à un nouveau niveau. Elle combine la rigueur ontologique d’Atlas du Temps Présent avec l’atmosphère de spéculation et de peur qui entoure L’Économie Vibratoire. Nous observons de véritables données scientifiques qui, si nous pouvions les traduire, nous montreraient des rapports concrets sur ce qui se passe actuellement dans le monde. Si nous regardions le dessin se dérouler sur une période de temps suffisamment longue, nous verrions émerger des modèles météorologiques. Nous pourrons peut-être voir le changement climatique représenté à l’écran. Nous pourrions même être en mesure d'isoler des variations météorologiques localisées que nous pourrions peut-être relier aux habitudes particulières des humains qui vivent dans cette région. Sauf qu’un problème nous en empêche : nous ne comprenons pas les dessins que nous regardons. Nous ne savons pas à quoi correspond chaque forme, ligne ou motif en termes de données météorologiques. L’expérience que nous vivons n’est donc pas concrète. Même si nous savons que les images sont liées à la météo, nous ne pouvons tirer aucune conclusion sur leur signification.
Claire Malrieux - Climat Général, 2017, Graphiques génératifs informatiques, © Claire Malrieux
Ce qui nous reste est l'expérience abstraite offerte par Climat General. Nous pouvons interagir avec les images évolutives selon nos propres termes. Nous pouvons attribuer un sens aux images au-delà des paramètres établis par l'artiste. Ou nous pouvons simplement nous asseoir et profiter du spectacle si nous le souhaitons. Une telle pensée—des spectateurs d'art contemporain souriant agréablement alors qu'un dessin cinétique leur montre la lente catastrophe du changement climatique—pourrait évoquer des images de l'empereur romain Néron, jouant de son violon tout en regardant Rome brûler. Mais le succès de cette œuvre réside dans le fait que Malrieux ne fait pas ouvertement cette déclaration. Le climat est toujours là ; c'est tout ce que cette image nous montre. Nous ne pouvons pas dire comment cela affectera l'humanité ou les autres créatures de cette planète. Nous ne pouvons pas prédire ce qui se passera à l'avenir avec la météo pas plus que nous ne pouvons prédire ce qui se passera à l'avenir avec le dessin. Nous ne pouvons pas non plus prédire ce que cela signifiera, non seulement pour nous plus tard dans la vie mais pour ceux qui viendront après nous. Peut-être que nos descendants nous verront comme des Néron, et des artistes comme Malrieux comme nos violons. Ou peut-être que Malrieux nous montre quelque chose d'espoir en nous démontrant que nous ne pouvons jamais pleinement prédire les effets à long terme des systèmes que nous créons.
Image à la une : Claire Malrieux - Climat Général, 2017, © Claire Malrieux
Toutes les images utilisées à des fins d'illustration uniquement
Par Phillip Barcio