
Un regard sur l'art de Jean Le Moal
Jean Le Moal a atteint sa majorité en tant que peintre à Paris à la fin des années 1930, au moment même où l'Europe était à la fois à son apogée culturelle et sombrait également dans le chaos. Toute sa carrière fait écho à cette dichotomie. Son art est à la fois un témoignage de structure et une acceptation du désarroi. Même ses premières peintures définissaient Le Moal comme un maître coloriste et un dessinateur expert. Mais même si ses premiers travaux étaient vifs et énergiques, ils n’étaient pas très originaux. Il a obtenu la plupart de ses idées en copiant les maîtres modernes du Louvre, et son style immature était donc essentiellement un mélange de couleurs fauves, de structure cubiste et de sujets surréalistes. Cependant, Le Moal était enthousiaste et courageux et était déterminé à découvrir un jour sa voix unique. Il avait confiance que la voix lui parviendrait à travers les voies du modernisme et de l'abstraction. Son enthousiasme pour la nouveauté et l’expérimentation l’a amené à fréquenter l’avant-garde française au moment même où les nazis envahissaient l’Europe et dénonçaient ce qu’ils appelaient « l’art dégénéré ». Le Moal fait partie des nombreux artistes français qui s'opposent à cette censure. Pendant l'occupation nazie de la France, il devint même membre fondateur d'un groupe appelé le Salon de Mai. Outre Le Moal, ce collectif influent comprenait le critique d'art Gaston Diehl, ainsi que des artistes comme Henri-Georges Adam, Robert Couturier, Jacques Despierre Francis Gruber, Alfred Manessier et Gustave Singier, entre autres. Le Salon de Mai s'est formé dans un café et depuis les sièges du café, le groupe a organisé une série d'expositions sur plusieurs années qui ont posé un défi direct à leurs occupants. Le Salon de Mai est devenu un phare dans une période sombre et a contribué à assurer la pérennité de l’art français au-delà de la guerre. C’est peut-être exagéré de dire que Le Moal et ses compatriotes ont élevé leur croyance en l’art au rang d’une religion. Cependant, une fois la guerre terminée, Le Moal s'est en fait consacré à l'idée que l'art habite un domaine distinctement spirituel. Dans une tentative de créer une voix visuelle transcendante, il se consacre pleinement à l'abstraction et réussit finalement à canaliser le pouvoir mystérieux de la couleur et de la lumière.
Influences architecturales
Le Moal est né en 1909 à Authon-de-Perche. Son père était ingénieur civil et a encouragé Le Moal à s'orienter vers les domaines de l'ingénierie et de l'architecture dès son jeune âge. Le Moal a étudié pour devenir sculpteur à l'école et s'est spécialisé dans les bas-reliefs. À 17 ans, il s'est inscrit à l'école des Beaux-Arts de Lyon en tant qu'étudiant en architecture. Il a fallu encore deux ans avant qu'il ne peigne enfin ses premières toiles. Ces premières peintures étaient des œuvres figuratives inspirées par la nature. Et même au milieu des années 1930, lorsque Le Moal a commencé à explorer des styles modernistes tels que le surréalisme et le cubisme, ses peintures montraient des influences architectoniques. Des œuvres comme "Personnage assis" (1936) et "Flore" (1938) révèlent une forte attraction pour la structure et l'harmonie computationnelle traditionnelle. Sa maîtrise de la gestion de l'espace dans son art a même conduit à l'une de ses premières percées en tant qu'artiste, lorsque Le Moal a été choisi en 1939 pour peindre les fresques au plafond du Pavillon français à l'Exposition internationale de New York.
Jean Le Moal - Barques 1947. Huile sur toile. 81 x 117 cm. Collection privée, Suisse. © Tous droits réservés / ADAGP, Paris, 2018.
Dans les années 1940, Le Moal trouva le courage de s'éloigner de la figuration, mais il resta obsédé par la structure linéaire. Dans ses premières œuvres abstraites, il isolait les éléments de couleur et de ligne de telle manière que le travail ressemble à celui d'artistes comme Piet Mondrian et Theo van Doesburg. Ce n'est que dans les années 1950 que Le Moal trouva enfin une méthode qui lui était propre, en se libérant complètement de la structure et en adoptant un style plus lyrique. Des peintures comme "Printemps" (1957) et "Flore" (1960) sont d'excellents exemples de Tachisme, et laissent même entrevoir les progrès que Le Moal réalisait dans le domaine spirituel. Pour réaliser ces peintures, il a dit qu'il s'était libéré du besoin d'enfermer les choses. Ironiquement, en 1956, au même moment où il peignait ces œuvres révolutionnaires, il revenait également vers un intérêt pour l'architecture en commençant une nouvelle carrière dans la fabrication de vitraux pour des églises.
Jean Le Moal - Paysage, la ferme, 1943. Huile sur toile. 24 x 35 cm. Musée des Beaux-Arts de Quimper. © ADAGP Paris 2018
L'art comme prière
Il est difficile de dire ce qui est venu en premier pour Le Moan : des vitraux ou des peintures qui ressemblent à des vitraux. Quoi qu’il en soit, ses peintures sur vitraux incarnent l’effet de rayons lumineux de couleur brillant à travers des formes éclatées flottant dans l’espace. L'un des exemples les plus emblématiques de ses vitraux est « Les Arbes » (1954). La traduction signifie les arbres, et en effet ce tableau fait allusion à une vue des branches d'un arbre qui a perdu ses feuilles. Une lumière brillante et colorée remplit les espaces entre les lignes, créant une mer de formes vibrantes, lumineuses, orange et jaune. Comme Agnès Martin, Le Moal a dû voir le caractère sacré inhérent aux trois, et il a également tenté de le capturer avec des lignes et des couleurs dans des peintures comme « Les Arbes ».
Jean Le Moal - L'Océan, 1958-1959. Huile sur toile. 1,62 x 1,14 m. Dépôt du Musée National d'Art Moderne au Musée des Beaux-Arts de Quimper. © ADAGP Paris 2018
Contrairement à Martin, cependant, qui n'était pas ouvertement religieux, Le Moal était assez ouvert sur ses convictions. Il était chrétien et ses vitraux étaient installés dans des églises chrétiennes. Il espère également qu’ils ne séduiront pas seulement les religieux. Il a exprimé le désir de créer des espaces où les gens pourraient prier, mais aussi où ceux qui ne prient pas peuvent encore trouver le silence et la paix. La façon dont sa pratique du vitrail a affecté Le Moal en tant qu'artiste était extraordinaire. Les encadrements de ses fenêtres sont très structurés en accord avec l'architecture des églises où elles sont installées. Mais les compositions au sein des structures sont lyriques, gestuelles et très abstraites. Dans le même temps, des peintures comme « Summer Light » (1984-1986) montrent comment son style mature est devenu si lâche et abstrait au cours des années 1970 et 80 que ses peintures en sont venues à ressembler à des chemises tye-dye, avec des champs de couleurs tourbillonnants et psychédéliques. les uns dans les autres et se mélangent aux champs illusoires et transcendants. À la fin de sa vie, Le Moan avait bouclé la boucle en tant qu'artiste capable d'exprimer parfaitement et simultanément l'équilibre nuancé qui existe entre structure et liberté, et de capturer l'architecture insaisissable de la lumière.
Image en vedette : Jean Le Moal - Poisson, 1952. Lithographie. Composition : 11 3/4 x 19 11/16" (29,9 x 50 cm) ; Feuille : 14 15/16 x 22 7/16" (38 x 57 cm). Guilde de la Gravure. Fonds Larry Aldrich. Collection du MoMA.
Toutes les images utilisées à des fins d'illustration uniquement
Par Phillip Barcio