
La volonté de retenue : tendances de l’art réducteur
Lorsqu’on pense à l’art, il est rare d’arriver à une terminologie qui transcende les concepts limitatifs de style, de période ou de mouvement. Mais lorsque nous le faisons, il peut être libérateur, voire unificateur, de découvrir un langage qui pourrait faire référence à toutes les œuvres d’art, peu importe quand elles ont été réalisées ou par qui. L'Art réducteur est un tel terme. Cela ne fait pas référence à un mouvement, à un style ou à une période de l’art. Cela représente une idée. L'art réducteur est un art créé à travers un processus destiné à simplifier, consolider, condenser. Dans une certaine mesure, on pourrait dire que, dans un sens, le David de Michel-Ange, une sculpture taillée dans le marbre, est réducteur. Après tout, il a été créé grâce à un processus de modification du formulaire original. Sauf que David est aussi une grossière complication de la forme originale. Si Michel-Ange avait simplement équarri les coins du bloc de marbre d'origine et l'avait affiché sous la forme d'un rectangle vertical, impliquant l'humanité plutôt que de le représenter explicitement, cela aurait fait preuve de retenue. Cela aurait été subtil. Cela aurait été réducteur.
Demandez à Agnès
"Quand j'ai fait une grille pour la première fois, je pensais à l'innocence des arbres, puis une grille m'est venue à l'esprit et j'ai pensé qu'elle représentait l'innocence... alors je l'ai peinte et ensuite j'ai été satisfaite." - Agnès Martin
La peintre américaine expressionniste abstraite Agnes Martin est souvent considérée comme une artiste dont le travail incarnait l'essence de l'art réducteur. Ses tableaux à lignes transmettent une émotion subconsciente de la manière la plus directe et simplifiée qu'elle ait pu trouver. Le travail de Martin possédait une clarté. Il incorporait une palette étroite. Il s'appuyait sur un langage de formes drastiquement limité. Il élargissait ses insinuations en limitant ses assertions. De plus, le travail d'Agnes Martin démontrait un savoir-faire précis, illustrant une autre exigence de l'art réducteur : que l'œuvre s'efforce d'éliminer les éléments distrayants qui pourraient interférer avec l'expérience du spectateur avec l'art. Modestement encadrées et exécutées avec précision, les peintures de Martin semblent à la fois confiantes et humbles.
Joanne Freeman - Covers 20 Red A, 2015. Gouache sur papier Khadi fait main. 50,8 x 50,8 cm.
Tendances contemporaines en matière de réduction
Le travail de la peintre abstraite américaine contemporaine Joanne Freeman est souvent décrit comme réducteur. Utilisant une palette de couleurs vive et épurée, Freeman peint des formes géométriques à bords nets et des marques gestuelles simplifiées et intuitives sur des fonds blancs éclatants. Freeman s'inspire de sujets tels que la signalisation urbaine, l'architecture, les tendances du design graphique du milieu du siècle, et les ombres à bords nets qui apparaissent souvent sur les bâtiments exposés au soleil. Ses peintures font référence à ce langage visuel contemporain, mais de manière retenue et contemplative.
Le peintre suisse Daniel Göttin s'efforce également d'atteindre la clarté et la simplification dans son travail. Il travaille avec un langage restreint de formes, lignes et motifs géométriques reconnaissables. Il incorpore une gamme de couleurs limitée afin de présenter des déclarations esthétiques audacieuses et directes. Göttin a déclaré qu'il avait l'intention de diriger l'attention du spectateur "vers l'espace à l'intérieur de l'objet." Cette invitation zen à une rencontre méditative avec l'œuvre fait que l'expérience du spectateur est quelque peu semblable à la répétition d'un mantra.
Daniel Göttin - Slopes B4, 2016. Acrylique sur MDF. 30 x 24 cm.
Réduction phénoménologique
Nous, les humains, sommes spécialisés dans l’expérience. Nous percevons nos expériences à travers notre conscience. Afin de contextualiser nos expériences, nous créons des structures dans notre esprit. Par nos actions, nous partageons ces structures les uns avec les autres, et ces structures se manifestent à leur tour dans le monde physique d'innombrables façons, philosophiquement, matériellement, émotionnellement, socialement, etc. L'étude de ces structures de l'expérience et de la conscience humaines s'appelle Phénoménologie. La phénoménologie est au cœur de l'art réducteur. En étudiant les structures des expériences humaines et en réduisant le langage visuel qui découle de ces expériences, un artiste peut parvenir à un langage symbolique capable d'accéder aux significations plus profondes du monde complexe de nos consciences.
L'artiste abstrait américain Tom McGlynn se concentre sur une approche phénoménologique dans sa pratique. En distillant le langage visuel de la ville, McGlynn a développé un vocabulaire visuel limité à des carrés, des rectangles et des lignes aux bords nets. Ses peintures sont rigoureusement contrôlées et précisément élaborées. Elles présentent des aperçus d'une conversation urbaine simplifiée, menée symboliquement et en deux dimensions. Le travail de McGlynn est une traduction subconsciente et réductrice du paysage bâti qu'il habite.
Tom Mcglynn - Survey 4, 2013. Acrylique sur papier Fabriano. 55,8 x 83,8 cm
Le but de l'art réducteur
« Les gens qui regardent ma peinture disent que cela les rend heureux, comme la sensation qu'on ressent au réveil le matin. Et le bonheur est le but, n'est-ce pas ? - Agnès Martin
Cette citation résume parfaitement l’objectif et le résultat d’un art réducteur réussi. Bien sûr, tout le monde ne se réveille pas le matin, et tous ceux qui se réveillent le matin ne s’en sentent pas heureux. Ce n’est pas le sujet. Le but est de simplifier. Agnès Martin se sentait heureuse le matin et, d'une manière ou d'une autre, elle a extrapolé ce sentiment précis et l'a exprimé dans son travail, et certains spectateurs qui ont vu l'œuvre l'ont également ressenti. C'est la clarté. C’est ça l’art réducteur.
Image à la une : Tom Mcglynn - Test Pattern 11 (Kelly), 2005. Acrylique sur papier Fabriano. 55,8 x 83,8 cm.
Par Phillip Barcio