
Ce que la section Or signifiait pour le cubisme et l'art abstrait en général
Le cubisme est né des esprits et des pinceaux de Pablo Picasso et Georges Braque. Mais le mérite d'avoir élargi la connaissance de la méthode cubiste aux masses revient sans conteste au Groupe de Puteaux, et à leur exposition cubiste marquante de 1912, La Section d'Or. Les premières peintures cubistes sont apparues vers 1909, provoquant une onde de choc à travers l'avant-garde parisienne, ce qui a conduit un certain nombre d'autres peintres à adopter les théories et les principes que Picasso et Braque développaient. Picasso et Braque commentaient rarement publiquement leurs expériences, mais leurs disciples s'accrochaient à ce qu'ils partageaient et utilisaient ces idées pour formuler un mouvement conceptuel définitif. Parmi les premiers convertis au cubisme figuraient Albert Gleizes, Jean Metzinger, Robert Delaunay, Henri le Fauconnier, Fernand Léger et les frères Duchamp – Marcel Duchamp, Jacques Villon et Raymond Duchamp-Villon. Certains de ces artistes ont exposé ensemble au Salon des Indépendants de 1911, après quoi ils ont commencé à se rencontrer formellement dans la banlieue parisienne, soit dans l'atelier d'Albert Gleizes à Courbevoie, soit chez les frères Duchamp à Puteaux. Ce deuxième lieu de rencontre a donné son nom au Groupe de Puteaux. Lors de ces réunions, le groupe a eu des discussions approfondies sur ce qu'est et ce que n'est pas le cubisme, et a défini à la fois ses racines et ses objectifs. En 1912, ils avaient une conception entièrement formée de leur méthode, et pour marquer le moment, ils ont organisé la première grande exposition cubiste : La Section d'Or. Pour accompagner l'exposition, Gleizes et Metzinger ont publié “Du Cubism,” la première – et unique – explication du cubisme écrite par les premiers artistes cubistes eux-mêmes. L'impact de l'exposition et de l'essai sur le développement de la culture artistique de leur propre époque, et sur celle de chaque génération à venir, est impossible à surestimer.
L'idée en or
Le Groupe de Puteaux a appelé sa première exposition « La Section d’Or » en référence à la « section dorée », un concept mathématique qui remonte à plus de 2000 ans. Ce concept implique des valeurs géométriques qui apparaissent régulièrement dans la nature. C'est une formule objective, mais elle a également pris certaines attributions mystiques au fil des siècles. Les artistes de Puteaux discutaient fréquemment de formules mathématiques, y compris de la section dorée, lors de leurs réunions. Ils ont choisi ce terme comme titre pour leur exposition en raison de ce qu'ils ressentaient qu'il impliquait. En aucun cas, ils ne disaient qu'ils appliquaient réellement la section dorée dans leur travail. Ils s'intéressaient simplement à ce que l'idée de la section dorée signifie pour les gens. Néanmoins, les critiques se sont précipités pour chercher des preuves de la section dorée dans les peintures exposées à « La Section d’Or ».
Albert Gleizes - Les Baigneuses, 1912. Huile sur toile. 105 x 171 cm. Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. Rectangle doré (peinture, 1 à 1,618 ± 0,07), grille de nombre d'or (grille dorée/jaune, so1 - so4) et superposition de grille de rapport 4 : 6. Source : wikipédia.
Dans quelques peintures de Juan Gris, ils ont trouvé de telles preuves dans la disposition de la composition, et au moins une peinture de Gleizes avait des dimensions inhabituelles qui correspondent à la formule. Mais dans "Du Cubisme", il est clairement indiqué : "Nous ne sommes ni géomètres ni sculpteurs ; pour nous, les lignes, les surfaces et les colonnes ne sont que des nuances de la notion de plénitude. La géométrie est une science, la peinture est un art. Le géomètre mesure, le peintre savoure." Pour de nombreux spectateurs, cette explication est insatisfaisante, surtout s'ils veulent comprendre le Cubisme en termes spécifiques. On m'a initialement appris que le Cubisme était une manière d'exprimer l'espace à quatre dimensions en montrant plusieurs perspectives simultanées – et j'ai écrit autant dans plusieurs articles précédents. Et bien que je croie toujours que c'est une manière précise de décrire de nombreuses peintures cubistes, après avoir lu "Du Cubisme", je comprends mon erreur. Le langage du Cubisme n'était pas explicitement défini. Il était seulement basé en partie sur la logique, et en partie sur le ressenti, et il a évolué au fil du temps. Le but des artistes cubistes n'était pas de définir, mais de suggérer. Comme l'ont écrit Gleizes et Metzinger, "Certaines formes doivent rester implicites, afin que l'esprit du spectateur soit le lieu choisi de leur naissance concrète."
Juan Gris - Homme dans un café, 1912. Huile sur toile. 127,6 x 88,3 cm. Musée d'art de Philadelphie. Exposé au Salon de la Section d'Or de 1912
Les erreurs de l'oeil
Même si l’on ne peut attribuer un agenda spécifique aux cubistes, on peut au moins noter l’importance qu’ils accordent à l’innovation. « Du Cubisme » affirme que la seule loi de l’art est la loi du temps. Les artistes ne doivent pas imiter l’art du passé. Ils doivent être de leur époque et s’efforcer de découvrir par eux-mêmes ce que cela signifie. La lutte à laquelle les cubistes ont été confrontés n’est pas différente à cet égard de celle à laquelle chaque génération d’artistes abstraits a été confrontée depuis : c’est la lutte pour surmonter la différence entre ce que le public voit et ce qu’il comprend. Gleizes et Metzinger ont écrit : « L’œil intéresse rapidement l’esprit à ses erreurs. » Ils faisaient en partie référence à leurs propres peintures et à la façon dont les spectateurs les scannaient rapidement avec leurs yeux puis tiraient des conclusions hâtives dans leur esprit. Ils espéraient que les spectateurs pourraient apprendre à lire l'art abstrait lentement, en absorbant les différents éléments comme les mots sur une page, en attendant que l'œuvre entière soit lue avant de s'aventurer à la comprendre.
Jean Metzinger - La Femme au Cheval (Woman with a horse), 1911-1912. Oil on canvas. 162 x 130 cm. Statens Museum for Kunst, National Gallery of Denmark. Published in Apollinaire's 1913 Les Peintres Cubistes. Exhibited at the 1912 Salon des Indépendants.
L'expression de cet humble espoir n'est qu'une des manières dont « Du Cubism » a affecté chaque méthode artistique développée au cours du siècle dernier. Nous voyons également son influence dans son expression de « la parenté de la couleur et de la forme », où les racines des enseignements de Hans Hofmann sont claires ; dans son insistance à ce que l'art soit « une fixation de notre personnalité : incommensurable, dans laquelle rien n'est jamais répété », où l'esprit de l'Expressionnisme Abstrait, Tachisme, Forma 1, et tant d'autres positions esthétiques se cachent ; et dans son étreinte de « autant d'images de l'objet que d'yeux pour le contempler, autant d'images de l'essence que d'esprits pour le comprendre », où nous entendons l'appel de l'Art Conceptuel et de l'image saturée de l'ère Post Internet. Quelle que soit l'influence future que La Section d'Or, Le Groupe de Puteaux ou le Cubisme a encore à offrir, elle est peut-être mieux exprimée dans l'une des dernières phrases de « Du Cubism », où Gleizes et Metzinger ont offert cette pensée : « Les gens réaliseront enfin qu'il n'y a jamais eu de technique cubiste, mais simplement une technique picturale que quelques peintres ont exhibée avec courage et diversité. »
Image en vedette : Albert Gleizes - Battage des récoltes (Le Dépiquage des Moissons), 1912. Huile sur toile. 269 x 353 cm. Musée national de l'art occidental, Tokyo
Toutes les images utilisées à des fins d'illustration uniquement
Par Phillip Barcio