
Le Centre Pompidou jette un nouveau regard sur le cubisme dans une nouvelle exposition complète
Le 17 octobre, la première grande exposition cubiste à Paris depuis 65 ans s'ouvre au Centre Pompidou. Cubisme (1907-1917) rassemble plus de 300 œuvres dans le but d'élargir notre compréhension de l'un des mouvements artistiques les plus influents. du 20ème siècle. La plupart des expositions cubistes se concentrent sur les fondateurs du mouvement : Pablo Picasso et Georges Braque. Cette exposition met également en lumière leur travail, mais elle va bien au-delà de ce cadre limité. Il commence par examiner des œuvres rarement exposées de Paul Cézanne et Paul Gauguin ainsi que des exemples d'art africain traditionnel qui ont influencé Picasso. Il explore ensuite la galaxie des artistes entourant Picasso et Braque, qui ont pris leurs découvertes et les ont développées dans de multiples autres positions distinctes. Non seulement les peintures sont incluses, mais certains des exemples les plus célèbres de la sculpture cubiste sont également exposés, comme l'assemblage de guitares en carton créé par Picasso en 1914. Enfin, nous voyons l'héritage du cubisme à travers les œuvres d'artistes comme Amedeo Modigliani, Constantin Brancusi et Piet Mondrian. Selon ses commissaires, le but de cette exposition ambitieuse est simplement d'offrir au public un aperçu plus large de l'histoire de cet important mouvement. Mais ce qu’ils ont réellement accompli va un peu plus loin. Ils ont monté une exposition pleine d’espoir, qui nous encourage à adopter les idées de nos contemporains et à bâtir sans vergogne sur le génie du passé.
Un changement de perspective
De nombreuses explications différentes du Cubisme existent. Certains le décrivent comme une manière géométrique de peindre le monde. D'autres l'appellent une façon d'introduire la quatrième dimension dans l'art en montrant le mouvement. D'autres disent que c'était une réduction abstraite des formes et des figures que l'on trouve dans la vie quotidienne. La meilleure explication que j'ai jamais entendue est que le Cubisme était une tentative de réexaminer la perspective. Depuis la Renaissance, l'art occidental était guidé par des règles spécifiques en matière d'art visuel—des règles sur le réalisme, le contenu acceptable et la perspective. Les peintures étaient censées imiter la vie en embrassant la profondeur, la perspective et d'autres outils illusionnistes. Tout au long des années 1800, cependant, ces règles ont été remises en question. Les Impressionnistes ont contesté les règles concernant le sujet, créant des œuvres qui parlaient uniquement de la lumière. Les Divisionnistes ont utilisé des coups de pinceau expérimentaux pour soulever des questions sur l'existence de la couleur dans la vie réelle ou si elle n'est interprétée que dans le cerveau. Les Post-Impressionnistes ont embrassé le mysticisme, le symbolisme et la spiritualité, et ont prouvé que des éléments formels comme la couleur et l'espace pouvaient en eux-mêmes valoir la peine d'être poursuivis comme contenu.
Paul Gauguin - Soyez mystérieuses, 1890. Bas-relief en bois de tilleul polychromé, 73 x 95 x 5 cm. Musée d’Orsay, Paris. © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Tony Querrec
Le cubisme a ajouté à ce mélange l'idée que la réalité est perçue de manière très différente par l'œil humain de la façon dont elle est généralement représentée dans l'art. Lorsque nous voyons quelque chose, nous ne le voyons pas aplati et parfaitement immobile. Le monde est toujours en mouvement, et nous sommes toujours en mouvement à travers lui. Nous voyons des morceaux et des fragments sous différents angles. La lumière change constamment. Le monde est décomposé en morceaux et fragments—certains d'entre eux sont invisibles, pourtant nous savons qu'ils sont là. Le cubisme tente de montrer les fragments de la réalité réassemblés en une seule composition. Il analyse le monde sous plusieurs perspectives simultanées, déconstruisant la vie pour montrer sa complexité. Cubisme (1907-1917) démontre comment, à cet égard au moins, Cézanne était bien en avance sur Picasso et Braque. L'une des premières œuvres de l'exposition est la peinture de Cézanne "La Table de cuisine" (1890). De la table au premier plan aux paniers, chaises et assiettes, chaque élément de l'image est montré sous un point de vue subtilement différent. La simultanéité des perspectives est réalisée dans ce travail, le déclarant comme distinctement proto-cubiste 18 ans avant que Picasso et Braque n'arrivent à la même idée.
Paul Cézanne - La Table de cuisine. (Nature morte au panier), vers 1888-1890. Huile sur toile, 65 x 81,5 cm. Musée d’Orsay, Paris. © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
L'art d'emprunter
L’un des aspects les plus rafraîchissants du cubisme (1907-1917) est qu’il ne recule pas devant le fait que ces artistes s’empruntent librement les uns aux autres. Nous accordons parfois une telle importance à l’originalité, exigeant que les artistes innovent énormément. Cette exposition démontre que parfois, innover signifie simplement faire un petit pas en avant en s'appuyant sur les réalisations des autres. On y voit le « Masque krou », de Côte d’Ivoire, l’un des masques africains qui a directement inspiré Picasso. Le visage est divisé en quadrants ; les yeux sont déséquilibrés ; les éléments sont divisés en zones géométriques d'ombre et de lumière. Deux tableaux voisins de Picasso – « Portrait de Gertrude Stein » (1905-1906) et son autoportrait de 1907 – montrent avec quelle précision Picasso a imité le langage visuel du masque africain. Pourtant, nous voyons comment il a disséqué ces aspects formels et a franchi l'étape suivante, en utilisant ces idées pour déconstruire les objets dans l'espace dans des peintures comme « Pains et compotier aux fruits sur une table » (1908-1909), et pour révéler les aspects invisibles de personnage dans des œuvres comme « Portrait d'Ambroise Vollard » (1910).
Pablo Picasso - Portrait de Gertrude Stein, 1905-1906. Huile sur toile, 100 x 81,3 cm. Le Metropolitan Museum of Art, New York. © The Metropolitan Museum of Art, Dist RMN-Grand Palais / image du MMA. © Succession Picasso 2018
Au fur et à mesure que l'exposition avance, nous voyons comment Sonia Delaunay a ainsi emprunté le langage géométrique de Picasso—non pas pour explorer le monde physique mais pour utiliser les formes afin d'explorer le potentiel métaphysique des relations de couleur. Nous voyons comment Piet Mondrian a également emprunté les aspects géométriques du Cubisme, mais contrairement à Picasso qui compliquait la réalité, Mondrian a utilisé la géométrie pour simplifier le monde en ses éléments les plus basiques. Nous voyons comment des artistes comme Juan Gris ont emprunté au Cubisme pour créer un style artistique plus graphique, qui allait inspirer les artistes de l'affiche. Et nous voyons comment les collages du Cubisme Synthétique ont inspiré des Dadaïstes comme Francis Picabia. Nous voyons également les soi-disant œuvres "Tubistes" de Fernand Léger, illustrant une altération nuancée du style cubiste qui est devenue un précurseur du Pop Art. Magnifiquement, il n'y a aucune honte dans cette progression d'influences. Bien au contraire. La curation réfléchie nous rappelle la joie pure de s'appuyer sur les idées des autres. Personne ne dirait que l'un de ces artistes manquait d'imagination. Au contraire, Cubisme (1907-1917) prouve que parfois l'imagination est encore plus fructueuse lorsqu'elle demande de l'aide.
Image en vedette : Pablo Picasso - Guitare, Paris, janvier-février 1914. Plaque de métal et fer, 77,5 x 35 x 19,3 cm. Le Musée d'Art Moderne de New York. © 2018. Image numérique, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence. © Succession Picasso 2018
Par Phillip Barcio